ODILE COHEN ABBAS • HENRI MACCHERONI
FEU

juin 2004
Quel serait le destin de femmes privées d'hommes ?
Comment résorber en elles ce grand sens carnassier du désir qui les meut et les enivre et sans quoi elles demeureraient hors de leurs simples gestes, de leurs caresses au monde et à la vie, muettes et asthéniques ? Comment pactiser avec le manque et l'absence ?
Car je crois que leur beauté ni leur féminité jamais ne se résignent.
Comment acquiescer à ce grand crime de viduité perpétré contre leur âme et leur courage sans se soulever, se révolter et saccager ou transformer dangereusement, puisqu'il est devenu le lieu du creusement et du drame, leur paysage intérieur ?
Aussi chacune choisit-elle la difformité d'un rêve et s'adonne-t-elle à sa dérive. Tant et si bien que l'arrivée des hommes ne pourra se révéler que dérisoire et décevante et bien en deçà de leurs visions poignantes. Si elles chutent, si elles inclinent, si elles souffrent en rêvant, c'est qu'elles sont vivantes, c'est qu'elles ont conjuré le vide et préservé leurs sens, et qu'il leur reste encore, mi vacantes, mi dolentes, à féconder le leurre.


Odile Cohen Abbas

 




 
Odile Cohen Abbas
 
Henri Maccheroni
Les Enfers
(cercle de 21 cm contrecollé)
 

Justification du tirage :

• 31 exemplaires comportent un collage original circulaire de la série des Enfers d’Henri Maccheroni, chacun rehaussé, signé et répertorié au catalogue de l’œuvre de l’artiste. Édition imprimée par Plein Chant à Bassac sur Ingres d’ Arches 85 g, signée par les auteurs.
Couverture réalisée spécialement par l’artiste.
88 pages. Emboîtage d’éditeur, 34 x 26 cm.
Prix : 800 € En souscription jusqu’au 30 septembre 2004 : 650 €

• 300 exemplaires numérotés et signés par l’auteur, imprimés par Plein Chant à Bassac sur papier Centaure 120 g. Couverture réalisée par Henri Maccheroni.
88 pages. 15 x 21 cm.
Prix : 22 €
Article publié en septembre 2004 dans Le mensuel littéraire et poétique n°  323
Théâtre-Poème • 30 rue d'Écosse • 1060 Bruxelles • Belgique
par Alain Duveau

Il est donc une sorte de révélation de la vie, la situation la plus extrême et son dépassemant, l'élaboration d'un bestiaire, l'expérience d'une certaine continuité de l'ordre, un tête-à-tête avec la conscience à peine définie et qui s'unissent à la vie, s'identifient à elle ; qu'il s'agisse d'un élément décisif, d'une image éphémère, c'est toujours l'enjeu d'une renaissance et d'une mort, d'un sentiment de plénitude, de créatures créées en tant que telles, poussées jusqu'au paroxysme de leur condition.

Le récit permet la conscience commune du vrai et du faux, révèle sous le mode de l'intimité la présence d'un désir de rencontres, d'une effervescence de signes, d'où l'animal humain réveille le vivant en inadéquation avec la réalité et porte en lui la quiétude du déplacement, d'un rêve pour heureux qu'il soit n'en est pas moins menaçant, éprouve un vécu simple, trouve avidement l'entièreté des expériences choisies pour devenir sentiments, perceptions, l'enthousiasme d'être tout et davantage le seul présent. C'est une fable que les mots désignent, déjoue la compréhension, conteste toute volonté d'exotisme, se raconte en scènes marquées par l'enveloppement, la sublimation, se révèle par l'usage du merveilleux afin d'en saisir le caractère premier, ces raisons pour lesquelles la vie laisse place aux différentes formes de réalités.

Là où la scène fantasmée se comprend à travers quelque chose qui puisse l'extraire de son recueillement, au plus fort de l'a-temporalité, existe un mécanisme de répétition et à chaque fois d'accomplissement, nous obligeant à dépasser les circonstances par la profusion d'images, la cohabitation d'êtres étranges, où l'identité est mise en danger ; c'est là un récit poétique, un prologue, 29 chapitres courts et intenses, autant d'éveils d'une voix surgie avec ses images, ses rumeurs, toujours posée entre l'ici et l'ailleurs, mais qui jamais ne se perd et de citer l'en-tête du premier et dernier chapitre afin d'illustrer pareille écriture : Dans la nuit désolée, Lollia greffe ses mannequins / Entre Ahio, dernier homme du village et Renié des femmes et des compagnons, Adam demeure seul prostré dans sa hutte / Le danseur nu, son seul ami, offre à son regard une dernière jeune fille. L'échec, le désir, le manque sont au cœur de ces réalités, les idées s'ajoutent aux idées, un lent et voluptueux déploiement de possibilités occupe cet horizon de dépossession et le porte, les formes d'existence garantissent le retour au même, à l'excès d'expériences, tout semble se tenir par une telle individuation : offrir au lecteur une nouvelle mythologie dans l'affirmation d'un monde.

Ce qui est ainsi révélé est soutenu, ne suppose pas un sens dernier ou premier, même si nous percevons clairement diverses interrogations sur l'identité, le désir de la femme, le double, les figures répétées sous diverses formes de l'androgyne. Rien ne semble utilisé ni dirigé, il faut ici comprendre l'intrusion d'une parole pure, se défaire de toute volonté mimétique, aller dans le texte comme si tout avait été préalablement déserté, de reprendre vie par sursauts, à l'instant du réveil sortir d'un état éprouvant sans aucune violence et de suggérer par là un désir de plus grande homogénéité de l'être comme la première femme fantasmée dans pareille chorégraphie qui est le cœur du cœur de ce livre et de se demander qui est qui : Le danseur enveloppé dans sa cape la serre contre lui. Leur race s'endeuille, s'englue aux fourreaux et couteaux du chemin. La vierge ploie. Ses jambes se changent en foène, en caveau. Elle reconnaît peu à peu le lieu de feuilles et d'ombre où avaient séjournés les compagnons. C'est là une des nombreuses situations qui révèlent ce qui semblait ne plus pouvoir accompagner la vie humaine, tout le temps d'un vécu simple, dépouillé, qui se voit face aux moyens utilisés, rythme et sophistication de l'écriture, comme cela peut arriver lorsqu'on tombe dans un état second, en pleine mutation des sens, par une sorte de devenir animal, enfant, homme et femme, qui font de ce que nous sommes : l'être humain. Au fond de cet horizon sans appel, il y a un langage entendu, des récits qui se dérobent à la réalité, une véritable compassion qui ne sombre jamais dans la sensiblerie, la volonté de surmonter toute instabilité propre à la vie et de s'en dégager.

Qui entre dans ce livre tient tête au présent, se révèle à la vie humaine, annonce déjà l'être en devenir, gagne en identité, arrive à la réalité par le goût de l'absolu ; se dégagent des figures de la révélation et de l'ambivalence, la recherche d'un chant le plus accompli qui soit, cette intériorité singulière qui fait un monde, une forme d'existence hors de la contrainte. L'écriture est troublante, éternise l'instant, commente la montée de l'amour, les métamorphoses de toutes sortes, pose à chaque page la problématique passionnelle. Cette conscience est le thème central, obsédant qui structure les récits. La seule condition qui s'impose à nous est de nous laisser emporter par cet imaginaire et le miracle de l'apprentissage révèle au lecteur un passage indéfini entre la réalité et le rêve, leur étrangeté dans ces images reflétées sur les miroirs de la création. C'est à nous de prêter à cette lecture, à la maîtrise de pareilles situations, de trouver l'écriture comme souffle, faire un pas de plus dans la direction d'une imagination qui crée, de donner forme à l'aube d'une vie nouvelle. C'est là être un écrivain étonnant.

Article publié en septembre 2004 dans Le mensuel littéraire et poétique n°  323 • Théâtre-Poème • 30 rue d'Écosse • 1060 Bruxelles • Belgique

Autres ouvrages d'Odile Cohen Abbas :

Le livre des virginités, Comp'act, 2001
La Rougeur d'Umbriel, L'Esprit des péninsules, 2004
Marne noire, marne blanche, Lieux-Dits, 2004

pour plus d'informations : ab@abedit.com
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